ANALYSE - LA PAUVRETé REMONTE AU PAYS DEPUIS LA FIN DE LA PANDéMIE

L’envolée du coût de la vie, bien sûr, mais aussi la fin des programmes d’aide spéciaux déployés pour amortir le choc économique de la COVID-19, est en train d’effacer les gains contre la pauvreté qui avaient été réalisés récemment.

C’est l’un des effets inattendus qu’avait eus la pandémie. Soucieux d’amortir le choc économique de la pandémie de COVID, les gouvernements ont tant et si bien élargi leurs filets sociaux que les finances des ménages se sont globalement améliorées malgré la crise au Canada.

Au Québec, le revenu médian après impôt des familles a ainsi bondi — plutôt que reculé — de 61 100 $ en 2019 à 65 900 $ l’année suivante (en dollars constants de 2022), à la faveur notamment d’une augmentation des transferts gouvernementaux (de 11 100 $ à 18 500 $) et en dépit d’une diminution de leur revenu du marché (de 55 200 $ à 52 400 $), a rapporté la semaine dernière Statistique Canada.

Renversement de situation

Cette dynamique allait toutefois rapidement se renverser par la suite, le niveau réel des salaires étant reparti à la hausse en 2021 (58 000 $) avant de stagner en 2022 (57 500 $) en raison de l’inflation alors que les gouvernements refermaient graduellement le robinet de leurs transferts (entre 18 500 $ en 2020 et 13 300 $ en 2022). Au total, le revenu réel médian après impôt des ménages a ainsi reculé au Québec, passant de 65 900 $ en 2020 à 64 600 $ en 2022.

Ce phénomène n’a pas épargné les familles les plus modestes. En diminution graduelle depuis au moins le début des années 2000 — à l’exception des sursauts connus au lendemain de la crise financière de 2008-2009 ainsi qu’au milieu des années 2010 —, la proportion de Québécois vivant sous le seuil officiel de la pauvreté au Canada a baissé d’un coup avec la pandémie (8,9 % en 2019 contre 4,8 % l’année suivante), avant de remonter (à 5,2 % en 2021, puis à 6,6 % en 2022).

Cela restait toutefois mieux que dans n’importe quelle autre province canadienne, notamment en Ontario (10,9 %). Mais cette moyenne générale cachait aussi des proportions beaucoup plus élevées chez les jeunes de moins de 18 ans qui grandissent dans une famille monoparentale (14,5 %), en particulier, et chez les personnes seules (19,3 %).

Quant à la proportion de Québécois vivant dans l’insécurité alimentaire modérée ou grave, elle n’a fait qu’augmenter de 2019 (7,1 %) à 2022 (10,8 %), et se révèle particulièrement forte chez les personnes seules (15,8 %) et dans les familles monoparentales (26,4 %).

Ce mouvement de yo-yo de la pauvreté durant la pandémie illustre le pouvoir que peut avoir en la matière un filet social plus ou moins généreux.

Ce n’est toutefois pas le seul facteur en cause. Si l’on recule dans le temps aussi loin que le permette la dernière édition de cette mesure, on constate que la proportion de familles québécoises sous le seuil officiel de la pauvreté avait diminué de 13,5 % à 8,9 % durant les quatre années qui avaient précédé la COVID, à la faveur notamment de la vigueur de l’économie et de l’emploi.

Une autre mesure de la pauvreté

Le calcul de ce fameux « seuil officiel de la pauvreté au Canada » n’est pas parfait, font valoir des experts. Basée sur « le coût d’un panier de biens et de services précis correspondant à un niveau de vie modeste et de base », cette « mesure du panier de consommation » (MPC) élaborée par le gouvernement fédéral s’en tient tellement aux stricts besoins minimums qu’il y a lieu de l’accompagner d’une autre mesure, qui tiendrait mieux compte des options disponibles et du coût réel sur le terrain en ce qui concerne la nourriture, le logement ou le transport, soutient depuis une dizaine d’années l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Cette mesure, avance l’IRIS, devrait également couvrir un ensemble un peu plus large de dépenses tout aussi essentielles, comme les soins de santé et les frais de garde non remboursés, un petit coussin financier en cas d’imprévu et une sortie occasionnelle au restaurant.

Comme le font de temps en temps les statisticiens fédéraux pour la MPC, l’IRIS vient de mettre à jour le mode de calcul de son « revenu viable ». Sans surprise, son seuil reste plus élevé que celui de la MPC et a augmenté durant la dernière année sensiblement au même rythme que l’inflation. L’une des principales nouveautés, cette année, est qu’au lieu de se baser sur le prix moyen des loyers, on a calculé le coût du logement en fonction de ce devrait payer quelqu’un qui chercherait aujourd’hui quelque part où se loger.

L’IRIS arrive ainsi à la conclusion que, pour être viable, le revenu annuel après impôt d’une personne seule devrait être de 38 500 $ à Montréal (contre 27 300 $ selon la MPC), de 30 700 $ à Trois-Rivières (25 800 $) et de 43 600 $ à Sept-Îles (25 500 $). Pour une famille de deux adultes et deux enfants, le revenu minimal nécessaire devrait frôler les 82 000 $ à Montréal (contre 54 500 $ selon la MPC), les 72 800 $ à Trois-Rivières (51 500 $) et les 86 600 $ à Sept-Îles (51 000 $).

Au-delà du salaire minimum

À la lumière de ces chiffres, ce n’est pas la hausse de 50 ¢ du salaire horaire minimum entrée en vigueur cette semaine qui changera fondamentalement les choses pour les 200 700 salariés directement concernés. Désormais de 15,75 $ l’heure, il permettrait tout juste à une personne seule travaillant 35 heures par semaine et vivant à Montréal de dépasser la MPC, mais il ne lui ferait faire que les deux tiers du chemin vers le revenu viable, dit l’IRIS. Pour passer ce dernier seuil, il faudrait travailler plus de 50 heures par semaine ou un salaire minimum de 27 $ l’heure.

La prestation de base à l’aide sociale (11 800 $) couvre, quant à elle, moins de la moitié de la MPC et moins du tiers du revenu viable.

« On a tendance à croire qu’il suffit de travailler pour sortir de la pauvreté, mais notre économie crée une catégorie de travailleuses et de travailleurs pauvres qui, même s’ils travaillent 50 heures par semaine, peinent à répondre à leurs besoins », a déploré la chercheuse et autrice de l’étude de l’IRIS, Eve-Lyne Couturier.

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